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24 juin. Poza de Fóra-Muxia
(14km/+294m/-298m).

Il fait encore sombre quand nous percevons dans un demi-sommeil le clapotis des vagues, qui nous semble entourer la tente... Peu après, nous avons tous les deux besoin de faire pipi - inspirés par le bruit de l'eau ? mûs par la crainte de retrouver notre tente flottant sur les flots ? Nous en profitons pour vérifier le niveau de la marée - bien en-dessous de nous !

Bien habillés car il fait frisquet, nous préparons un bon thé, un porridge nourrissant, puis nous plions la tente qui est totalement sèche - pour la première fois depuis le début de notre séjour ! Tout notre petit matériel retrouve sa place dans nos sacs à dos et nous quittons notre campement sans traces de notre passage... Légèreté de vivre avec si peu !

Le chemin commence sur la plage où la marée a laissé des guirlandes de coquillages, où nous découvrons du caquilier (sorte de roquette des plages) qui nous promet de délicieuses salades, et où nous admirons les rochers ronds élégamment moussus.

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Un petit passage en forêt et nous rejoignons une autre plage. Le ciel se dégage, les tons de gris tournent au bleu. En face, nous voyons Camariñas, quittée hier pour aller jusqu'au bout de la baie, et qui se rapproche à nouveau... A la nage ce serait si près ! Et tout à l'autre bout de la baie, nous devinons Muxia, notre objectif du jour, qui semble encore bien loin... Le chemin est envahi de végétation, nous progressons doucement. Le taxi Jesus sait sans doute que l'endroit est propice à une pointe de découragement... Ce n'est pas notre cas.

Les plages de succèdent, toujours plus belles, désertes... Entre-deux, on remonte un peu, un sentier dans les pins. Et pour une fois le ciel est vraiment bleu. Féerique !

Vers 14h, nous arrivons au petit village de Merexo, où chaque maison de pierre semble avoir son potager. Un tout petit bistrot nous offre une eau gazeuse bien fraîche. Peut-on manger? Ça tomberait bien, nous n'avons pas de picnic avec nous aujourd'hui...

La patronne, un brin bourrue, âgée d'une soixantaine d'années, nous demande ce que nous voulons. Nous lui demandons la carte, elle n'en a pas... Une ardoise largement effacée trône au-dessus du comptoir. Nous tombons d'accord sur une salade. Elle disparaît dans l'arrière-salle où l'on entend des enfants jouer. Revient avec une salade géante, repart. Nous voyons les enfants quitter la maison, et l'entendons parler à la fois fort et très tendrement au téléphone, avec une femme plus jeune, peut-être sa fille. Ola guapa - bonjour ma belle. Muchos besos, te quiero - beaucoup de baisers, je t'aime. L'addition est faite à la main sur un petit bout de papier, avec une écriture enfantine. Nous repartons émus.

Juste après, nous tombons sur une borne du Camino officiel : plus que 7,5 km... jusqu'à Muxia qui est l'une des destinations possibles à part Santiago de Compostella - avec son propre "diplôme de pèlerin arrivé au but" comme nous l'apprendrons plus tard - la Muxiana. Pour l'instant nous nous réjouissons du chemin qui se suffit largement à lui-même.

Cadeau supplémentaire, soudain le paysage change: un creux de verdure, forêt luxuriante, ruisseau cristallin, vieux moulins... Un charmant chemin de bois, bordé de Crocosmia, serpente au milieu de ces merveilles, jusqu'à l'océan. Nous avançons lentement, cette fois pour se donner le temps d'apprécier pleinement.

L'eau turquoise invite à la baignade... Nous nous rapprochons encore un peu de Muxia avant d'en profiter. C'est aussi l'occasion de se laver grâce à notre gel douche de marin qui enlève le sel et nous laisse frais pour une nouvelle nuit sous tente - c'est ce que nous prévoyons.

Muxia si lointaine est au bout du tapis de bois, et ça y est nous y sommes ! Ou presque car le kilomètre 0 est au bout de la pointe, encore 2 km plus loin. Le ciel s'est couvert mais les goélands s'en fichent, très occupés à prendre tous ensemble leur bain de fin de journée. Nous cherchons un restaurant qui pourrait garder nos sacs à dos jusqu'à ce que nous venions manger, mais ils n'ouvrent qu'à 20h ou plus. Pas grave.

La borne du kilomètre 0 ! Ça fait quand même son effet...

Le bout du monde est sensé être à Finisterre. Pourtant, ici on embrasse l'humilité, debout devant cette église dédiée à la Vierge apparue à Saint Jacques pour l'encourager depuis une barque de pierre voguant sur les flots. La façade élancée se dresse face à l'océan qui bat sans cesse les rochers en grondant. L'église est ouverte, une messe se termine - petit regret de ne pas être venus plus vite. Elle est pleine de maquettes de bateaux flottant dans les airs, comme si elle habitait un peu de l'immensité liquide toute proche. Le monsieur qui a les clés veut fermer, mais il me laisse allumer un cierge pour tous ceux qui sont dans nos cœurs durant ce pèlerinage. Pour une fois il y a de vraies bougies et non un semblant de flamme alimenté par l'électricité, qui s'éclaire pour 10 min lorsque l'on met 1 Euro dans la fente.

Nous repartons très émus avec l'envie de revenir.

Arrivés au village, le restaurant qui nous attire est encore fermé. Un homme au look sportif attend devant. C'est Gaston, originaire de Turgovie, à la retraite depuis peu, qui vient de finir son pèlerinage après 85 jours de marche. Seul car son épouse n'a pas pu l'accompagner à cause d'un genou en mauvais état, mais ils ont été en contact chaque jour. C'est elle qui a fait toutes les réservations d'hôtel depuis la maison, et elle le rejoindra dans 3 jours avec leur fils.

Nous lui laissons nos sacs à dos le temps d'acheter les fruits du petit déjeuner et le picnic pour demain, puis nous mangeons ensemble en échangeant nos impressions jusqu'à 23h... Son sac pèse 15 kg mais il s'y est habitué. Il a une pèlerine de l'armée suisse qui résisterait sous une cascade, une crème pour prendre soin de ses chaussures de montagne qu'il bichonne une fois par semaine, un spray contre les punaises de lit. C'est son premier voyage seul, il redoutait un peu, mais il est enchanté de toutes ses rencontres et rêve de repartir - cette fois en vélo pour que sa femme puisse l'accompagner.

Il est un peu tard pour aller planter la tente, par chance nous trouvons un petit studio tout proche sur Airbnb. Ainsi il nous sera facile retourner voir l'église demain matin !